Lorsque Georges Bernanos commence à rédiger les articles qui formeront Le Chemin de la Croix-des-Âmes, il est au Brésil. Quelques mois avant l'appel du 18 juin 1940, dans Les Enfants humiliés, il prophétisait : « Mon pays est soigneusement tenu dans l'ignorance de ce qu'il défend, de ce qu'il risque de perdre, de ce qu'il est presque sûr de perdre si quelque miracle ne suscite pas au dernier moment un homme qui parle enfin à son coeur, à ses entrailles. »
À un ami, il confie début 1940 : « Dans la plus profonde humiliation et avec une honte écrasante, je viens de reprendre la conscience de mon pays. » À travers ses articles écrits entre 1940 et 1945 dans les journaux brésiliens ou pour la BBC, Bernanos dénonce les responsabilités dans la défaite française, la France de Vichy, la collaboration. Il soutient la Résistance et de Gaulle. Mais il voit aussi plus loin. Car la Seconde Guerre mondiale marque la fin d'un monde, l'avènement d'une civilisation de masses et celui de la technologie, « de la matière qui prévaut lentement contre l'homme alors qu'il se donne l'illusion de l'asservir ». Cette crise sans précédent, qu'il a entrevue dix ans plus tôt, est celle d'une société dont le but « est la simple consommation de ce qui est (…) à mesure qu'approche le jour attendu, infaillible, de la libération absolue de l'homme, non pas de l'Homo sapiens du philosophe antique, mais de l'homme total, qui ne se connaît ni Dieu ni maître, étant à soi seul sa propre fin ».
Une telle crise appelle une révolution des consciences. Au-delà du témoignage, cette édition du Chemin de la Croix-des-Âmes prend une résonance particulière aujourd'hui.