"Vous ne supposiez tout de même pas que je le susse !" dit la marquise avec une réelle noblesse. Mais le jeune drôle connaissait mal la langue française. Il ricana et accusa la marquise de dire des obscénités. "Moi ?" Ce moi fut un chef-d'oeuvre. La marquise se dressait dans une robe de percaline jaune brodée d'iris noirs en jais et de jacinthes en turquoises. Sa traîne commençait cette robe et il semblait que ses étoffes montassent du sol pour s'enrouler autour des chevilles, des cuisses, des fesses, du ventre, de la taille, et mourir au bord des seins. La marquise était moins jeune que ne l'avouait son passeport mais belle de colère en face du jeune drôle à qui elle avait eu la faiblesse d'accorder ses faveurs. Son rire la saccageait, saccageait ses iris, ses jacinthes, ses turquoises. On eût dit une grande vague furieuse et jaune. "Misérable !" s'écria la marquise et superbement elle dégrafa cette vague d'étoffes. Toute nue, n'ayant que ses perles au cou, d'un geste théâtral sa main désignait la porte. Le jeune drôle baissa la tête et quitta le château. Alors, victime de l'amour et de la langue française, la marquise s'abattit dans une sombre écume multicolore. "
" La Langue française ", extrait d'Appoggiatures.